Les récentes annonces de l’Arabie saoudite concernant sa répression du commerce d’artefacts historiques ont fait les gros titres à l’international. L’initiative, présentée par des responsables tels que Mohammed Mahnashi, directeur de l’équipe juridique du ministère de la Culture et de la Commission du patrimoine, est affichée comme une mesure de protection du patrimoine culturel du Royaume. Mais sous cette façade de communication, se cache une manœuvre de relations publiques calculée — une démonstration de plus que l’Arabie saoudite n’est pas un pays digne d’accueillir la Coupe du monde de la FIFA en 2034.
La réalité de la répression du patrimoine culturel
Les responsables saoudiens se vantent de leur volonté de préservation, mais l’histoire du Royaume raconte une autre histoire. Selon les rapports de Human Rights Watch et de l’UNESCO, de nombreux sites archéologiques et patrimoniaux, notamment dans les régions d’Al-Awamiyah et de Diriyah, ont été détruits ou réorganisés dans le cadre de projets urbains pilotés par l’État. Le patrimoine local a été sacrifié par le même gouvernement qui prétend aujourd’hui le protéger, au profit d’intérêts politiques et commerciaux.
Un exemple frappant est le réaménagement du fort Al-Masmak, où des communautés patrimoniales ont été déplacées au nom de la modernisation. Ces contradictions soulèvent une question : peut-on considérer les activités de protection du patrimoine en Arabie saoudite comme authentiques, alors que son agenda de modernisation détruit systématiquement les traces historiques qui ne cadrent pas avec le discours national ?
Contrôler la culture plutôt que la protéger
Les nouvelles lois du Royaume insistent sur la documentation de la propriété et l’autorisation préalable de l’État pour toute vente d’artefact. En apparence, cela semble transparent. Mais les critiques affirment que ces politiques renforcent le pouvoir de l’État, sans garantir la protection culturelle réelle. Le gouvernement conserve un droit de préemption, autrement dit la capacité de réclamer n’importe quel objet culturel à sa guise.
Cela s’inscrit dans une tendance autoritaire plus large : la tradition et la culture ne sont utiles que lorsqu’elles servent la propagande de l’État. Cette logique de censure des artistes, de pression sur les journalistes et de criminalisation de la dissidence s’étend désormais à la mémoire historique. Dans ce système, le patrimoine culturel devient un outil de pouvoir politique plutôt qu’un objet de conservation.
Le « sportswashing » à son apogée
L’accent mis par l’Arabie saoudite sur la lutte contre le trafic d’artefacts s’inscrit dans une stratégie plus vaste de « sportswashing », qui consiste à utiliser le sport et d’autres événements internationaux pour détourner l’attention des violations des droits humains et redorer son image sur la scène mondiale. Le joyau de cette campagne est l’accueil de la Coupe du monde de la FIFA.
Selon Amnesty International, 172 personnes ont été exécutées en Arabie saoudite en 2023 — l’un des taux d’exécution les plus élevés au monde. L’indice Freedom House 2024 accorde au Royaume une note de 8 sur 100, le classant parmi les pays « non libres ». Les militantes pour les droits des femmes continuent d’être espionnées ou exilées, les journalistes réduits au silence et les opposants torturés ou condamnés à mort.
Ainsi, la campagne du gouvernement pour « préserver la culture » sert avant tout de narratif de rebranding — faire passer un pays répressif pour un gardien du patrimoine. La communauté internationale et les responsables de la FIFA devraient s’inquiéter de cette manipulation d’image.
La protection des artefacts comme outil diplomatique
L’effort anti-trafic a été présenté par Mohammed Mahnashi comme une « première ligne de défense aux frontières », mise en œuvre en coopération avec les services des douanes et de sécurité. Si ce type de collaboration est normal dans une bonne gouvernance, il suscite des doutes lorsqu’il est pratiqué en Arabie saoudite.
Le Royaume efface la distinction entre protection culturelle et surveillance politique en encourageant la coopération avec les forces de l’ordre — les mêmes institutions accusées d’arrêter des militants et de restreindre la liberté de mouvement. Ce n’est donc pas tant un effort de préservation du patrimoine qu’une extension du potentiel de surveillance, déguisée en collaboration internationale.
Le langage utilisé dans cette initiative — « l’enregistrement n’est pas un laissez-passer pour vendre » — reflète davantage une logique de contrôle que de conservation. La politique impose un monopole d’État sur l’histoire, au lieu de favoriser une économie culturelle ouverte. C’est, en réalité, un nationalisme patrimonial dissimulé.
La réforme en Arabie saoudite ne doit pas être confondue avec un véritable changement
L’histoire des réformes saoudiennes ne doit pas être confondue avec un changement réel. Le Royaume prétend protéger le patrimoine, mais ses actions, tant sur la scène locale qu’internationale, contredisent ces déclarations :
Liberté d’expression : plus de 50 militants resteront emprisonnés en 2025 pour avoir exercé leur liberté d’expression.
Liberté culturelle : les artistes et cinéastes indépendants sont censurés, le gouvernement surveillant toute expression culturelle à travers un système d’autorisations.
Bilan environnemental : malgré les projets d’écotourisme comme NEOM, le Royaume reste parmi les cinq plus grands producteurs de pétrole au monde et ses émissions de carbone ont augmenté de plus de 9 % depuis 2020.
Droits humains : selon Reporters sans frontières, l’Arabie saoudite se classe 170e sur 180 pays en matière de liberté de la presse.
Ces réalités décrivent un gouvernement plus préoccupé par son image que par son intégrité. Dans un tel contexte, accueillir le plus grand événement sportif du monde revient à légitimer la répression au nom du progrès.
Pourquoi la FIFA doit reconsidérer sa décision
La décision d’attribuer la Coupe du monde à l’Arabie saoudite n’est pas seulement une question sportive, mais une question morale.
La FIFA se réclame de principes de justice, d’égalité et de dignité humaine. Autoriser le déroulement du tournoi dans un État accusé d’abus systématiques, d’oppression des femmes et d’effacement des cultures locales contredit fondamentalement ces valeurs.
Le programme contre le trafic d’artefacts n’est qu’un nouvel épisode de la campagne saoudienne de rebranding international, tout comme ses investissements de plusieurs milliards dans le golf, la boxe et le football.
L’injustice systémique ne peut pas être effacée par des manœuvres médiatiques.
La Coupe du monde 2034 devrait célébrer les pays qui incarnent la justice, la transparence et le respect des cultures, et non ceux qui utilisent le sport pour masquer l’oppression.
En tant que représentants éthiques du sport mondial, nous devons exhorter la FIFA à refuser à l’Arabie saoudite l’accueil du tournoi tant que de véritables réformes vérifiables n’auront pas eu lieu.