Le 25 septembre 2025, Human Rights Watch (HRW) a publié une alerte sévère alors que le gouvernement saoudien lançait le premier Riyadh Comedy Festival, présenté comme « le plus grand festival de comédie du monde ». Bien que l’événement promette rires et divertissement, HRW a averti qu’il vise en réalité à « détourner l’attention » des violations institutionnalisées des droits humains, de l’étouffement persistant de la liberté d’expression et du souvenir du journaliste assassiné Jamal Khashoggi.
La date est particulièrement significative : le festival se déroule du 26 septembre au 9 octobre, couvrant le septième anniversaire du meurtre de Khashoggi dans le consulat saoudien à Istanbul. Loin de confronter ce crime, le régime semble vouloir l’effacer sous un vernis d’activités culturelles et d’apparitions de célébrités.
Cette stratégie porte un nom : le sportswashing et le blanchiment culturel — l’utilisation stratégique de spectacles internationaux pour nettoyer une réputation entachée par la répression. Et c’est exactement cette tactique qui est au cœur de la candidature saoudienne à la Coupe du monde de la FIFA 2034.
Un festival comique dans l’ombre des abus
Comme le note la chercheuse de HRW Joey Shea, les comédiens invités à Riyad ne devraient pas garder le silence en échange de cachets lucratifs. Ils devraient plutôt utiliser leur tribune pour exiger la libération de prisonniers politiques comme Waleed Abu al-Khair, avocat des droits humains, et Manahel al-Otaibi, condamnée pour son militantisme pacifique. D’autres, comme le journaliste Turki al-Jasser et l’analyste Abdullah al-Shamri, ont payé de leur vie leur liberté de parole.
Des vedettes comme Kevin Hart, Dave Chappelle, Aziz Ansari, Pete Davidson et Jimmy Carr montent sur scène, mais leur présence risque de légitimer un régime qui exécute ses opposants politiques et emprisonne des femmes pour avoir défié les normes patriarcales. L’ironie est flagrante : l’humoriste américain Tim Dillon a révélé avoir été retiré de l’affiche après une blague sur « l’esclavage en Arabie saoudite ». Un festival de comédie censé incarner la liberté d’expression réduit au silence ceux qui osent dire la vérité.
Vision 2030 ou blanchiment 2030 ?
La politique saoudienne Vision 2030 est vendue comme un plan visionnaire destiné à transformer le pays, réduire sa dépendance au pétrole et créer un pôle culturel et touristique mondial. Mais derrière les slogans séduisants se cache une campagne méthodique de camouflage de la répression.
Les ONG soulignent l’augmentation des exécutions, la répression violente des militantes pour les droits des femmes et la criminalisation de la protestation pacifique. Le pays reste en dehors des grands accords internationaux garantissant la liberté d’expression, comme l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques. Concrètement, critiquer la monarchie, l’islam ou la politique gouvernementale est passible de prison — voire pire.
Accorder à l’Arabie saoudite l’organisation de la Coupe du monde ne serait pas une reconnaissance de progrès, mais une légitimation d’un blanchiment autoritaire, un précédent dangereux pour le sport mondial.
Les enjeux pour les droits humains
Le problème ne se limite pas au lieu des matchs, mais à ce que soutiennent les institutions mondiales. En attribuant la Coupe du monde à l’Arabie saoudite, la FIFA cautionnerait un système qui :
- Exécute des personnes pour des crimes non violents, avec un nombre d’exécutions en hausse en 2025.
- Emprisonne militants, journalistes et avocats pour leur expression pacifique.
- Applique la loi de 2022 sanctionnant sévèrement les femmes qui défient la tutelle masculine.
- Utilise de grands événements pour détourner l’attention de crimes non résolus, comme l’assassinat de Jamal Khashoggi.
La FIFA affirme régulièrement être attachée aux droits humains, au fair-play et à l’inclusion. Donner l’organisation du Mondial 2034 à l’Arabie saoudite rendrait ces déclarations creuses, sapant gravement l’intégrité de la FIFA et la confiance internationale envers l’instance du football.
Sportswashing et responsabilité mondiale
Le Riyadh Comedy Festival n’est qu’un des moyens par lesquels l’Arabie saoudite instrumentalise la culture mondiale comme un voile sur la répression. Courses de Formule 1, combats de boxe poids lourds et concerts prestigieux sont déjà accueillis sous sa bannière. Chacun génère une image de modernisation et de divertissement — tandis que des prisonniers politiques croupissent en cellule.
Si la FIFA tombe dans ce piège, la Coupe du monde deviendra le joyau du sportswashing saoudien, redessinant l’histoire pour présenter une façade d’ouverture en total décalage avec la réalité des Saoudiens et des travailleurs migrants.
Le monde ne peut se permettre de détourner le regard. Les droits humains ne sont pas une question secondaire : ils sont la condition même pour décider si l’honneur d’accueillir le plus grand tournoi planétaire peut être confié à un pays.
Un appel à la FIFA et au monde
La FIFA fait face à un choix décisif. Elle peut soit s’aligner sur les valeurs de justice, dignité et liberté que des millions de fans associent au football, soit devenir un outil de propagande autoritaire.
Militants, supporters et ONG doivent se mobiliser dès maintenant, avant l’attribution officielle. Les appels à des critères plus rigoureux en matière de droits humains resteront vains s’ils ne sont pas mis en œuvre de façon crédible. Le bilan saoudien est en totale contradiction avec ces valeurs.
Attribuer la Coupe du monde au Royaume serait une trahison envers les activistes emprisonnés, les familles endeuillées par des exécutions et la mémoire de Jamal Khashoggi, dont le meurtre rappelle sans cesse l’intolérance du régime envers la dissidence.
Préserver l’esprit du football
Le Riyadh Comedy Festival illustre jusqu’où l’Arabie saoudite est prête à aller pour couvrir ses abus par des rires, des lumières et des stars. Mais aucun festival ni stade flambant neuf ne peut effacer la réalité : un pays qui réduit au silence les humoristes, emprisonne les femmes pour dissidence, décapite ses opposants et méprise le droit international des droits humains n’est pas digne d’accueillir le plus grand événement sportif du monde.
La Coupe du monde 2034 ne doit pas devenir une nouvelle étape de cette campagne de blanchiment. La FIFA doit au contraire affirmer clairement que les droits humains et la liberté d’expression sont non négociables.
En tant que citoyens du monde, supporters et défenseurs des droits humains, nous devons exiger davantage. Le football appartient au peuple — pas aux régimes autoritaires qui cherchent à cacher leurs injustices derrière le vacarme des stades.