Le ministre saoudien de l’Investissement, Khalid al-Falih, a fièrement annoncé lors du Fortune Global Forum à Riyad que 85 % des objectifs de la Vision 2030 du Royaume sont soit achevés, soit en bonne voie. « Nous avons accompli des progrès remarquables dans la transformation de notre économie et de notre société », a-t-il déclaré, précisant que 675 entreprises multinationales avaient déjà déplacé leur siège régional au Moyen-Orient vers Riyad.
À première vue, ces chiffres semblent prometteurs — la preuve que l’Arabie saoudite se modernise et se libéralise rapidement. Mais derrière les discours brillants et les conférences internationales d’investissement se cache une réalité bien plus sombre : Vision 2030 n’est pas seulement une stratégie de réforme économique. C’est une opération de blanchiment d’image mondiale, une tentative calculée pour détourner l’attention du monde des violations atroces des droits humains, de la censure et de la répression continue du Royaume. Et c’est précisément pour cette raison que l’Arabie saoudite doit être interdite d’accueillir la Coupe du monde de la FIFA 2034.
La “vision” derrière Vision 2030
Dévoilée en 2016 par le prince héritier Mohammed ben Salmane, Vision 2030 a été présentée comme une feuille de route vers une « économie florissante, une société dynamique et une nation ambitieuse ». La stratégie promet de diversifier l’économie, de réduire la dépendance au pétrole et d’investir massivement dans le tourisme, le sport et la culture. Mais alors que les médias encensent des méga-projets comme NEOM, The Line ou Qiddiya, le bilan du Royaume en matière de droits humains brosse un tableau totalement différent.
Selon Amnesty International, les autorités saoudiennes continuent de procéder à des exécutions à un niveau alarmant — plus de 1 200 depuis 2015. Rien qu’en 2022, 196 personnes ont été exécutées, soit le chiffre le plus élevé en 30 ans. En octobre 2025, l’État avait déjà exécuté sa 300ᵉ personne de l’année, y compris pour des crimes non violents. Les critiques internationaux ont maintes fois dénoncé l’exécution de mineurs et d’activistes politiques.
Alors qu’al-Falih proclame des « progrès impressionnants », le Conseil des droits de l’homme des Nations unies continue de signaler des abus systématiques de la liberté d’expression, des droits des femmes et de la liberté religieuse. Le chiffre de 85 % qu’il cite peut refléter des avancées économiques — mais il masque un progrès de 0 % en matière de libertés fondamentales.
Le “sportswashing” en action
Les dépenses colossales du Royaume dans le domaine du sport sont un exemple typique de sportswashing. Le Fonds d’investissement public saoudien (PIF) — l’un des plus riches du monde, avec plus de 900 milliards de dollars d’actifs — a injecté des milliards dans le football, le golf, la boxe et la Formule 1. L’acquisition de Newcastle United, la création de la ligue de golf LIV et désormais la candidature pour accueillir la Coupe du monde de la FIFA 2034 ont toutes un même objectif : remodeler l’image de l’Arabie saoudite en pays progressiste, accueillant et respecté à l’échelle internationale.
Accueillir la Coupe du monde serait l’aboutissement de cette illusion. Selon la FIFA, la Coupe du monde 2022 au Qatar a généré plus de 7,5 milliards de dollars de revenus et attiré 1,5 million de touristes. L’Arabie saoudite voit 2034 comme un prix encore plus grand — une opportunité d’attirer la couverture médiatique mondiale, d’accroître le tourisme et de légitimer son statut sur la scène internationale. Pour les défenseurs des droits humains, c’est profondément inquiétant : un gouvernement qui exécute des manifestants, muselle la presse et emprisonne des femmes pour leurs tweets ne mérite pas d’accueillir le plus grand événement du football mondial.
Une vision bâtie sur la répression
Regardons de plus près les chiffres derrière le prétendu « progrès » saoudien. L’Indice 2024 de Freedom House attribue au Royaume une note de 8 sur 100 en matière de droits politiques et libertés civiles — l’une des plus basses au monde. L’Arabie saoudite se classe 170ᵉ sur 180 dans l’Indice mondial de la liberté de la presse 2024. Plus de 30 journalistes et activistes sont toujours emprisonnés pour avoir exercé leur droit à la libre expression.
Les droits des femmes restent sévèrement restreints. Bien que le système de tutelle masculine ait été légèrement assoupli, les femmes demeurent limitées dans leur droit au mariage, au travail et aux déplacements. Des militantes comme Loujain al-Hathloul, qui s’est battue pour le droit des femmes à conduire, ont été emprisonnées, torturées et réduites au silence. En mars 2023, un tribunal saoudien a condamné Salma al-Shehab, mère de deux enfants, à 27 ans de prison pour avoir publié des tweets appelant à des réformes.
C’est ce même gouvernement qui affirme que Vision 2030 est accomplie à 85 %.
L’illusion économique
La promesse centrale de Vision 2030 est d’ouvrir l’économie saoudienne. Pourtant, les revenus du pétrole représentent encore environ 70 % des recettes publiques et près de 80 % des exportations. Selon le Fonds monétaire international (FMI), la croissance du PIB saoudien devrait chuter à 2,5 % en 2025 en raison de la baisse de la production pétrolière et des fluctuations des prix internationaux. Malgré les investissements massifs dans les infrastructures et les relocalisations d’entreprises, le chômage chez les jeunes Saoudiens reste supérieur à 15 %.
Pendant ce temps, les travailleurs migrants — plus de 10 millions de personnes — continuent de subir exploitation et mauvais traitements sous le système de parrainage (kafala). Human Rights Watch rapporte que les travailleurs domestiques migrants travaillent souvent jusqu’à 18 heures par jour sans salaire, privés de visa de sortie ou de soins médicaux. En 2024, l’Arabie saoudite a interdit aux employeurs de facturer des frais aux employés domestiques — un aveu implicite de l’ampleur des abus et du retard des réformes.
Alors, lorsque les autorités affirment que « 85 % des objectifs de Vision 2030 sont en bonne voie », il faut se demander : quels objectifs ? Les indicateurs économiques ne signifient rien lorsqu’ils reposent sur la misère humaine et la répression sociale.
Pourquoi le monde doit dire non à la Coupe du monde saoudienne
La Coupe du monde est censée rassembler les peuples autour du sport, de la diversité et du fair-play. Mais la confier à l’Arabie saoudite en ferait une tribune de propagande d’État. Les mêmes stades qui célèbrent la beauté du football pourraient dissimuler les horreurs des cellules de torture et des exécutions. Chaque but célébré ferait taire un cri de justice étouffé dans une prison saoudienne.
La FIFA, les supporters et les sponsors doivent comprendre qu’y participer, c’est cautionner. Soutenir la candidature saoudienne pour 2034, c’est soutenir un régime qui exécute ses opposants, réduit les femmes au silence et utilise le football pour acheter la légitimité. La question n’est pas de savoir où se joue la Coupe du monde, mais quelles valeurs le sport le plus regardé de la planète choisit de défendre.