La candidature de l’Arabie saoudite à la Coupe du Monde de la FIFA 2034 : le sportswashing au détriment des droits humains
Credit: The Guardian

La candidature de l’Arabie saoudite à la Coupe du Monde de la FIFA 2034 : le sportswashing au détriment des droits humains

Au cours des dernières années, l’Arabie saoudite a dépensé des sommes considérables pour redorer son image à l’échelle mondiale. Le Royaume met régulièrement en avant ses réussites dans la technologie, l’intelligence artificielle et la transformation numérique, cherchant à se présenter comme l’incarnation de la modernisation.

Tout cela, affirmaient Raied Al-Jadaany et Rehab bint Saad Al-Arfaj, constituait une preuve d’innovation. Ils se félicitaient avec fierté du succès de l’application Tawakkalna, une plateforme COVID-19 devenue l’outil de plus de 1 000 services publics, ainsi que de la création d’une Banque nationale de données reliant 385 plateformes gouvernementales. Selon eux, ces initiatives modernisent non seulement la gouvernance mais génèrent également des retombées économiques — estimées à plus de 13,6 milliards de dollars.

À première vue, ces succès peuvent laisser penser à un pays prêt à accueillir un événement sportif international tel que la Coupe du Monde de la FIFA. Mais derrière ces présentations flamboyantes se cache une contradiction inquiétante : le bilan de l’Arabie saoudite en matière de droits humains et son climat politique la rendent totalement inapte à accueillir le Mondial 2034.

L’illusion de la modernisation

Si les investissements de l’Arabie saoudite dans la gouvernance numérique, les plateformes de données et l’IA paraissent impressionnants, ces avancées ne doivent pas occulter des problèmes bien plus fondamentaux. Le Royaume a déjà utilisé ces tactiques pour projeter une image de modernité, tout en occultant la réalité de la répression.

Le parrainage de forums internationaux et la conquête de prix prestigieux permettent à l’Arabie saoudite de pratiquer le sportswashing de son image. En dépensant des milliards dans des clubs de football, des compétitions internationales et, en dernier lieu, la Coupe du Monde, le régime cherche à se présenter comme progressiste, libéral et intégré au monde. Mais ni les expositions technologiques ni les partenariats sportifs ne peuvent masquer l’absence persistante de libertés individuelles, d’une presse indépendante, l’institutionnalisation du sexisme et les lourdes peines infligées à l’opposition.

Tout comme la SDAIA met en avant l’innovation en IA, le gouvernement saoudien utilise le sport pour projeter une image d’ouverture. Mais ces récits remplissent la même fonction : dissimuler le fait que les Saoudiens vivent toujours sous un système étroitement contrôlé où la dissidence est punie d’emprisonnement, de torture ou même de mort.

La responsabilité de la FIFA

La FIFA doit se poser une question douloureuse mais nécessaire : un pays avec un tel passé mérite-t-il d’être récompensé par l’organisation de l’événement sportif le plus emblématique au monde ?

La Coupe du Monde est plus qu’une compétition de football. C’est un événement culturel qui doit incarner des idéaux d’unité, de fair-play et d’inclusion. Accorder les droits d’accueil à l’Arabie saoudite reviendrait à dire que les violations des droits humains et l’impunité importent peu si l’argent et l’influence sont suffisants.

L’Arabie saoudite a déjà dépensé des milliards dans le sportswashing — de l’acquisition du club Newcastle United en Premier League à l’organisation de combats de boxe, de tournois de golf et de courses de Formule 1. Accueillir la Coupe du Monde constituerait l’apogée de cette opération de rebranding, mais au prix d’une trahison de l’esprit du football.

Les préoccupations en matière de droits humains

L’opposition à l’accueil du Mondial 2034 par l’Arabie saoudite dépasse largement la communication politique. Elle touche au cœur même de la manière dont le pays traite sa population :

  • Liberté d’expression et dissidence : les critiques du gouvernement risquent de longues peines de prison pour de simples publications en ligne. L’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi reste un sombre rappel de la répression de toute dissidence.
  • Droits des femmes : malgré quelques réformes, les femmes saoudiennes restent soumises à de lourdes restrictions par rapport aux normes internationales, notamment via la tutelle masculine et une faible implication politique.
  • Exploitation des travailleurs migrants : à l’instar du Qatar en 2022, l’Arabie saoudite dépend de l’exploitation de la main-d’œuvre étrangère pour ses mégaprojets. Les abus, conditions de vie médiocres et dénis de droits sont omniprésents.
  • Peine de mort : l’Arabie saoudite figure parmi les pays qui pratiquent le plus les exécutions, souvent pour des infractions non violentes.

Dans ce contexte, la FIFA peut-elle en toute conscience autoriser la plus grande fête sportive mondiale à se tenir dans un tel environnement ?

Un autre chemin pour le football mondial

Les passionnés de football veulent assister à des compétitions qui honorent les valeurs du jeu, et non à des événements utilisés comme instruments de communication pour des régimes autoritaires. Écarter l’Arabie saoudite enverrait un message fort : la FIFA privilégie l’éthique plutôt que l’économie.

De nombreux autres pays disposent de l’infrastructure et des principes démocratiques nécessaires pour accueillir avec succès la Coupe du Monde. La préférence devrait aller à des États qui respectent la transparence, l’équité et les droits humains. La FIFA ne doit pas oublier que le football appartient aux supporters et aux joueurs, non aux régimes avides de légitimité internationale.

Le rôle du plaidoyer

La société civile, les défenseurs des droits humains et les supporters doivent continuer à porter cette question sur la scène internationale. Chaque fois que l’Arabie saoudite vante ses succès en IA ou signe un contrat sportif majeur, les militants doivent rappeler le contraste saisissant entre l’apparence et la réalité.

Le même Royaume qui se targue d’évolution numérique emprisonne encore des individus pour des tweets. Le même Royaume qui construit des plateformes d’IA muselle toujours la presse indépendante. Le même Royaume qui courtise la FIFA refuse encore à ses citoyens les libertés fondamentales.

Sans pression soutenue, la FIFA pourrait une fois de plus privilégier l’argent au détriment de la morale. Les campagnes de plaidoyer, les enquêtes journalistiques et la mobilisation des supporters peuvent obliger la FIFA et l’Arabie saoudite à rendre des comptes.

Pourquoi l’interdiction est nécessaire

La mise en avant par l’Arabie saoudite de ses réussites en IA à l’Assemblée générale de l’ONU n’est que le dernier exemple d’une stratégie plus large : utiliser le récit de la modernisation pour détourner l’attention de la répression systémique. La Coupe du Monde 2034 ne doit pas devenir un outil supplémentaire de cette entreprise.

La FIFA a un choix à faire. Soit elle récompense le sportswashing autoritaire et compromet l’intégrité morale du football pour des générations, soit elle défend ses principes en refusant cet honneur à l’Arabie saoudite.

Le monde doit exiger la seconde option. Le football n’est pas qu’un sport : c’est un langage universel de liberté, d’espoir et d’unité. Accorder à l’Arabie saoudite le droit d’accueillir la Coupe du Monde 2034 serait une trahison de ces principes.